Publiés

 

LISTES DES LIVRES PUBLIES (1985-2017)

 

Ce qui ne fut pas de Boris Savinkov – 1985 (Rééd. En fac-similé)

Des réactions politiques de Benjamin Constant de Rebecque – 1986 (Rééd. En fac-similé)

Quinze jours au désert d’Alexis de Tocqueville – 1986 (Rééd. En fac-similé, texte posthume)

Les Secrets de la forme (Essai sur la société affranchie) – 1986

Vénus la populaire de Bernard de Mandeville -1987 (Rééd. En fac-similé)

Trois Essais sur la falsification de George Orwell – 1998

Correspondance choisie de Tocqueville (avec Beaumont, Kergorlay, etc.) – 1998

Rêves d’un jeune homme ridicule – 1998

De l’utilité d’avoir des ennemis (Additif 2003 à Plutarque) – 2003

Nouvelles Vies parallèles (Nietzsche et Hughes) – 2005

Eloge de la pauvreté et de l’anonymat – 2006

Retours de la Chine – 2008

Fin du tour de la Russie en 2010 – 2010

Souvenirs de la maison des mots (sur la correction et l’édition) – 2011

Structures élémentaires des villages provençaux – 2012

Guide du XXᵉ (arrondissement) pour le XXIᵉ (siècle) – 2012

Debord, etc. – 2013

Souvenirs de la maison des images : une non-carrière éclatante – 2014

Lieux communs sur la « révolution » Un jeu – 2016

La Loi suprême de la non-rentabilité – 2017

 


EXTRAITS


 

Digression pour louer les digressions : sur le fâcheux ton « situ »

Le ton situ se caractérise par une totale indulgence vis-à-vis de soi-même et une moindre compassion vis-à-vis d’autrui, sauf exception. Notons qu’avant 1970 il n’existait pas à proprement un tel ton, du moins pas aussi prononcé, que c’est à partir des années quatre-vingt que Debord, et à sa suite ses fidèles, imposa ce jargon à base de « je », de citations tirées des pages roses, de proverbes. Dans ses derniers livres Debord comme Sancho s’exprimait volontiers à coups de maximes (« la caque sent toujours le hareng », « le léopard meurt avec ses taches »), ce que reprochait Don Quichotte à son écuyer. Mais tous ces tics étaient devenus une marque de fabrique, un mélange de prose empruntée, une mégalomanie délirante et toujours néanmoins grandissante, si c’est possible, une perte totale du contact avec la réalité. Comme dans un jeu de quilles, Debord exhume de ses archives tel article, tel texte pour le détruire avec entrain. « Je méprise la presse », écrit Debord. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce qu’il la parcoure avec un derrière distrait, particulièrement dans ses ultimes productions comme Une mauvaise réputation, il empile sans effort ce qui a été écrit sur son compte avec une visible félicité et naturellement accompagne ces citations d’un copieux commentaire sans pitié. L’effet comique est garanti. Dans Le Sous-Sol, Dostoïevski évoque cette étrangeté : « Plus je prenais conscience du bien… plus je m’engluais dans mon marais et plus j’étais capable de m’y noyer entièrement. » L’originalité de Debord tient en ce qu’il ne contredit pas des paroles par des actes opposés, mais ses dires par ses dires mêmes, une phrase par la suivante. Du moins faut-il être éveillé pour détecter un tel phénomène. Ce côté farce sera nié par tout debordien fervent. Naturellement.

Dans le registre de l’humour, mais involontaire, reproduisons ce que Debord écrivait en 1993 : « Après tout , personne n’a ignoré ce que je pensais de l’argent ; et ne pouvait pas s’ attendre à faire avec moi de bonnes affaires. » Il se trouve que la valeur des actions Apple ou Microsoft a ceci de commun avec les textes originaux situationnistes qu’elles ont été multipliées par 100 ou par 1000 sinon plus. J’ai vu sur Internet la brochure « Contre le cinéma » à vendre à 600 €, des numéros de l’IS à 100 € au moins. Quoique Debord ait fait pilonner certains de ses livres, il n’est pour rien dans cette constante et inattendue escalade spéculative.

Prenons un instant le cas de Dantzig attaqué dans Une mauvaise réputation (p. 113-119). Quand on voit le soin extrême que prend Debord à rectifier les propos de ce simplet, on reste éberlué. J’ai connu professionnellement Dantzig chez Grasset. Le grand Charles, comme le grand duc Serge chez un bijoutier d’après Céline, se cognait très régulièrement contre une poutre de son bureau sous les toits. Personne ne songeait à accorder la moindre attention à ce qu’il disait ou même écrivait. Il était celui qui « se mangeait le plafond », ce qui était inévitable vu la bassesse dudit plafond et la taille du littérateur. Chaque jour au moins on entendait un cri, c’était lui, il montrait sa bosse, il était distrait, il lisait parfois un livre en marchant dans la rue, ce qui pouvait entraîner d’autres inconvénients (il cumulait les actions en hauteur et au sol). Bref il était un grand lecteur au risque de sa vie, il amusait tout le monde à cause de cette dangereuse passion. Certains ignoraient même qu’il écrivait lui-même des livres ou le confondaient avec Onfray.


 

Texticules récents (à caractère local)

. Sur le plateau d’Albion

Au Nevada ou en Californie, comme le rapporte Mark Twain dans son livre A la dure ou Jack London dans Radieuse Aurore, une ville de deux ou trois mille âmes peut naître puis disparaître complètement au bout de quelque temps sans laisser absolument aucune trace. Dans certaines villes d’orpailleurs, comme Brodie, il reste quelques cabanes tout au plus.

Il est sans doute possible d’établir une comparaison entre ces villes éphémères du dix-neuvième siècle aux Etats-Unis et les installations nucléaires du plateau d’Albion au vingtième. Ici le sol a été troué, là ce sont de grands et longs tunnels qui ont été creusés, la terre a dû être rejetée à l’extérieur. On se demande même, si l’on admet, comme je l’ai entendu dire, qu’un trou de cent mètres de diamètre sur quatre cents mètres de profondeur a été creusé sur le plateau, où toute la terre a pu être transportée. Manquent en quelque sorte les terrils d’une mine.

Naturellement dans un cas il s’agit de chercher de l’or ou de l’argent, dans l’autre de construire une force de « dissuasion ». Les motifs économiques s’opposent aux desseins politiques, l’individuel au collectif.

 

. La merveilleuse histoire de la librairie Le Bleuet à Banon

L’histoire de la littérature est intimement liée à celle des fromages, comme le prouve le réjouissant épisode de l’armet de Manbrun dans Don Quichotte. Sancho ayant acheté des fromages les posa dans l’armet; Don Quichotte, pour effectuer un de ses exploits, mit l’armet sur sa tête qui dégoulina du jus des fromages et le gêna pour se battre sinon pour vaincre.

Il y a l’avant- et l’après-Bleuet.

Banon était auparavant universellement connue pour son fromage de chèvre enveloppé dans des feuilles de châtaigniers, ou selon d’autres dans des feuilles de vigne, ce qui corse évidemment la chose.

Accessoirement pour des saucissons si fins qu’on les appelle des brindilles. Mais la destinée de Banon allait brusquement basculer, pour le meilleur et pour le pire.

 

. Sur la Philharmonie

Jean Nouvel qui a conçu la Philharmonie à la porte de Pantin était opposé à son inauguration avant que tout ne soit fini, en particulier la carrosserie extérieure. Il avait tort. A mesure qu’on accumule des poutrelles sur le béton parsemé de trous pour encastrer lesdites armatures métalliques (l’avantage quand on prend le périphérique en voiture est d’avoir observé la transformation du bâtiment jusqu’à la catastrophe finale), l’ensemble ressemble à peu près à une décharge où l’on se serait débarrassé d’un grand nombre de ferrailles qui, au prix où est le fer, ne peut manquer d’attirer une théorie de Bulgares. Ce tas de tuyaux, de plaques, de poutres, de vis, de boulons, de rondelles, de fils d’acier, etc. je ne peux imaginer que, même avec beaucoup d’altruisme, Nouvel l’ait conçu pour faire plaisir aux Roms. Pourtant l’idée d’une déchetterie intra-muros me paraît avoir de l’originalité.

Comme l’Acropole entouré d’échafaudages, avant son stade terminal la Philharmonie veut-elle imiter l’architecture spéciale du Parthénon encombré d’armatures métalliques dont on ne sait si elles font partie du temple ou non, comme une queue préhensible de l’art grec ?

 

. A propos des Baléares

Majorque, la plus grande des quatre îles des Baléares, est surtout une maison de retraite à ciel ouvert, peuplée d’Allemands. L’Allemand aime la mer, en étant fort dépourvu, la Germanie depuis au moins Tacite a peu de côtes et l’eau est plutôt froide (et peu appétissante). Mais surtout il aime les îles. Il est non seulement vieux, coupal ou groupal, très statique, mais aussi buveur constant de bière dès le desayuno, et sans honte aucune. En France on considère volontiers comme alcoolique un monsieur qui suce des demis dès le lever du jour. Il faut croire que le soleil et l’air vif compensent les quelques inconvénients résultant d’une absorption massive de ce liquide. Dans une plage qui pourrait contenir 200 Espagnols « normaux », on ne peut qu’amasser 50 Teutons gonflés par la Kro, obésifiés par la frite, empâtés par le non-nomadisme îlien. Il est assez remarquable que les Allemands, entre couples ou groupes, entretiennent peu de relations, pas plus d’ailleurs qu’avec les « locaux ». Ils reviennent outre-Rhin avec les mêmes connaissances qu’ils entretenaient au départ, avec la nostalgie du soleil, des poissons grillés et des paellas. Car la Germanie, aujourd’hui comme hier, est un endroit « où les paysages sont sans grâce, le climat rude, un pays sinistre à habiter et à regarder », écrivait Tacite.