Des auteurs

 

Paris, 18/11/14,

Monsieur Kauffmann,

Le hasard a voulu que je vous croise dans l’enceinte étroite du magasin des Editions Gallimard lundi après-midi dix-sept novembre. Comme je n’étais pas sûr de votre identité, j’ai demandé, après que vous avez quitté les lieux, à la dame dudit magasin si vous étiez bien Jean-Paul Kauffmann. Elle m’a répondu sans hésiter par l’affirmative, ce qui m’a renforcé dans la conviction que vous avez bien été libéré, ce que prouvent du reste vos livres. Vous avez acheté, je crois, deux tomes de Péguy dans la Pléiade, un seul suffisait à mon avis, mais c’était peut-être pour les offrir à quelqu’un qui vous importunait (cela fait cher, le cas échéant, le cadeau empoisonné). Du reste je me mêle, n’est-ce pas, de ce qui me regarde peu.
Après avoir lu votre ouvrage sur la Courlande, j’y suis allé moi-même et avais écrit un court récit de voyage (Fin du tour de la Russie en 2010) que je vous avais envoyé et auquel vous m’aviez répondu par un petit mot gentil.
Voilà, je vous envoie par l’intermédiaire des Editions Gallimard quelques livres postérieurs (je préfère être anonyme qu’invisible) pour m’excuser de vous avoir fait quelque peu trembler à propos de votre chapeau.

AT

 

A Bruno Migdal

J’ai lu votre petit livre que j’espérais un moment que vous m’enverriez, mais il est vrai que les frais de port (voir les Chinois au Pirée) sont impossibles, sauf pour les ministres, les P-DG, les directeurs de journaux, de chaînes, les top models (bref les plus démunis). Je vous rassure, puisque vous ne me le demandez pas, les Editions 13 bis ne sont pas touchées par ces mesures d’austérité. Ayant passé quelques années dans les éditions de la maison du Saint-Père, il est vrai à raison de deux ou trois fois par mois, chaque fois un maximum d’une demi-heure, je peux vous affirmer que vous n’avez pas commis d’erreurs. Elsa est bien la plus con de toute la « Maison » (enfin je dirais : ex-aequo). Je vous reproche quand même de ne pas avoir dépassé le premier étage, remarquable entre autres par le bureau de Herzog (profession : ami de BHL) : une fois qu’il y était entré son interlocuteur devait rester dans le couloir ; mais peut-être a-t-il un peu minci et peut-on désormais loger deux personnes adultes dans son cagibi. Si vous n’êtes pas monté au deuxième étage, peut-être est-ce à cause de problèmes articulaires. En tout cas on y trouve l’ancien bureau de Dantzig, que vous nommez Gonzague, mais que j’aurais tendance à appeler Onfray bis. C’est un beau bureau avec une poutre métallique inclinée dans laquelle s’est maintes fois cogné le grand Charles. Il y a enfin des combles très poétiques, très poussiéreux où Bernard a fait ses classes.Vous êtes un peu ironique avec le chef de Grayard (ou Fasset, si vous préférez). C’est un homme des plus honnête, des plus simple, des plus frugal, qui ne va qu’une fois au resto par mois (au club du « Siècle »), c’est dire s’il fuit les mondanités. Il affirme ne pas aller jouer au golfe, contrairement à ce qu’affirme un journal sérieux comme Le Monde. Voici comment s’explique peut-être toute cette histoire. Tiger Woods interdit de golf après ses fredaines a pris l’apparence de Nora pour venir quand même sur les greens. Encore merci pour votre non-envoi et bravo pour votre lucidité.

AT

Bruno Migdal est l’auteur d’un petit livre, Petits bonheurs d’édition, relatant un stage effectué chez Grasset

 

26 juillet 201I,

Je n’avais pas oublié la première version plus brève de vos Souvenirs de la maison des mots. J’ai donc lu sans attendre cette mouture plus achevée.
Et me voilà drôlement embarrassé au moment de vous répondre.
Ne pas aimer complètement une oeuvre ne rend pas intelligent mais souvent maladroit, parfois brutal. Toujours interdit.

Pas mon genre d’adresser reproches ou critiques. Et encore moins des conseils. Ah je ne vous suis pas d’un grand secours.
Je le regrette vivement et vous souhaite de tout coeur de rencontrer auprès d’un de mes confrères l’enthousiasme et l’adhésion que vous êtes en droit d’attendre.

En toute amitié.
Jean-Marc Roberts

M. Roberts, aujourd’hui décédé, fut un auteur à succès avant d’être éditeur (chez Stock)

 

28 avril 2011,

Merci de bien vouloir remercier chaleureusement  l’auteur de Souvenirs de la maison des mots pour son ouvrage que j’ai lu avec une délectable consternation pour l’esprit dont il fait montre dans le (très fragmentaire) état de lieux qu’il dresse de notre métier.
Bien cordialement

Claude Durand

C. Durand, fut  longtemps directeur des Editions Fayard, éditeur de Soljenitsyne en France. Il publia avant de mourir des livres après avoir été éditeur.

 

Nous pouvons difficilement résister à la tentation de reproduire un échange épistolaire entre un éditeur qui, à la différence des deux éditeurs précédents qui furent aussi des auteurs, n’a pas encore manifesté le désir de pondre des livres, d’une part, et nous-mêmes, d’autre part (notons que cette abstention littéraire ne nous paraît pas un défaut flagrant,  et peut même témoigner d’un certain respect pour la chose écrite).

 

Paris, le 25 décembre 2011,

Monsieur Olivier Nora,

Je m’adresse  à vous par écrit, n’ayant jamais eu l’occasion de vous rencontrer ni de vous adresser la parole en dix ans de labeur. J’ai tendance à voir dans cette absence totale de contact une certaine bizarrerie. Grasset est une PME d’une cinquantaine de personnes. Ce n’est pas Renault. J’ai appris assez récemment, et tout à fait par hasard, que depuis plusieurs mois vous avez pris la décision de vous passer de mes services en tant que correcteur (je n’avais plus depuis trois ans le statut de salarié, mais d' »autoentrepreneur »). C’est naturellement votre droit, mais il eût été correct, pour un grand garçon comme vous dont les journaux vantent constamment l’élégance des manières, de me faire part de votre initiative par une lettre. Je sais que le prix du timbre est devenu prohibitif, qu’il faut faire des économies, que vous-même montrez l’exemple en étant le P-DG de deux maisons, ce qui évite de  verser deux salaires de P-DG. Nous voudrions apporter une modeste contribution à la bonne marche d’Hachette en suggérant à votre boss Arnaud de vous nommer P-DG d’une troisième boîte, ce qui, si je compte bien mais je peux me tromper, ferait une économie de deux (gros) salaires, quitte à vous augmenter un peu, vu l’activité démentielle mais finalement raisonnable qu’entraînerait une telle charge supplémentaire. Je sais votre sens de l’abnégation.

Je ne peux que faire le rapprochement entre mon éviction de la rue du Saint-Père et la parution d’un livre assez vendu, bien accueilli par la presse (Le Monde, etc.), dont rien n’indique formellement que j’en suis l’auteur, et dont à coup sûr vous vous êtes très soigneusement abstenu de parler, même en bien. Ce genre d’ouvrage dont vous n’avez  peut-être pas l’habitude vu qu’il est écrit en toute liberté, sans financement obscur, même du Qatar, et sans crainte des conséquences de toutes sortes (la preuve), a sans doute pu vous amuser mais surtout vous agacer. Je veux parler des Souvenirs de la maison des mots. Il est regrettable, avez-vous dû penser, de manquer d’auteurs drôles et cultivés, et quand il s’en présente de les foutre à la porte. C’est votre job pas le mien. Entre deux parties de golf (voir Le Monde), essayez de bien gérer néanmoins les deux entreprises qu’on vous a confiées. Essayez de faire oublier Durand. Ce sera dur mais qui sait? (…)

AT

 

Réponse de O. Nora

5 janvier 2012,

Cher Monsieur,

Je vous remercie de votre lettre du 25 décembre, bien dans votre ton  : je vous y retrouve tout entier (à croire que se lire vaut mieux que se rencontrer). Je n’ai en effet pas eu le plaisir de faire votre connaissance lorsque vous avez fait bénéficier Grasset de votre expertise : n’y voyez aucun ostracisme  ni mépris de ma part. Il se trouve que vos rapports étaient avec le service de fabrication, et je ne sache pas que vous ayez manifesté le désir d’une rencontre avec moi, pas plus qu’aucun de vos collègues correcteurs d’ailleurs.

Vous m’épargnerez de répondre à la bordée d’injures ou d’apostrophes plus ou moins injurieuses qui se veulent ironiques : je craindrais de ne pouvoir en la matière croiser le fer avec pareil bretteur (« ce lanceur de boules puantes se prenait pour un artilleur d’élite », écrivait un auteur dont je vous laisse le soin de retrouver le nom).
En revanche je tiens à vous confirmer, sur le fond des choses, que je n’ai pas eu à vous « évincer » d’une maison dont vous ne faisiez plus partie, j’ai en effet jugé préférable de mettre les auteurs qui font confiance à notre maison à l’abri d’un homme qui avait trahi la mienne, et sa parole, et le « secret professionnel » d’un art dont il prétend dans le même temps  porter aussi haut le drapeau. J’avais donc suggéré, pour que vous ne puissiez plus nuire aux vivants, que l’on vous confiât désormais les textes des morts en « Cahiers rouges »: vous n’auriez plus alors qu’à essayer de faire oublier Souvenirs de la maison des morts (sic). Ce sera dur mais qui sait? Je constate à vous lire que cette suggestion n’a pas été suivie d’effet : à croire que d’autres ont jugé bon, dans la maison, d’épargner vos sarcasmes aux moins vivants de nos auteurs.
Le « golfeur »(qui n’a jamais mis les pieds dans un golf, mais la presse doit être moins bien « relue » que l’édition) vous salue bien.

Olivier Nora

 

 

Salut,

C’est avec beaucoup de retard que je réponds à votre courrier que vous m’aviez adressé il y a un mois environ et dont je n’ai eu connaissance qu’avant-hier seulement.

La personne qui l’a réceptionné l’avait ouvert pensant qu’il s’agissait d’une commande. Ça avait dû la décevoir et elle l’avait mise dans un tiroir. Elle est d’autant plus coupable que cet oubli aurait certainement perduré si je n’avais eu l’occasion de lui téléphoner pour prendre de ses nouvelles.
Bien difficile la communication entre éditeur et éditeur !

Mais passons l’éponge !

Pour en revenir à notre affaire, je dois vous dire que j’ai été très honoré d’avoir été cité dans votre ouvrage à venir et aussi de vous donner mon avis.
Je suis loin d’être un critique littéraire patenté et ne le regrette pas.
Aussi vais-je vous livrer quelques réflexions en me félicitant d’avoir un « collègue  qui s’intéresse au quartier et de savoir qu’il existe, à ma connaissance du moins, un nouvel éditeur dit « petit ».

J’ai lu votre texte avec beaucoup d’intérêt et de plaisir. Certes il est d’usage de livrer un tel commentaire, même si, par politesse, il est livré par des gens qui n’ont pas du tout apprécié la prose ou même par des gens… qui ne l’ont pas lue.
Pas de flagornerie ! Je l’ai lue et appréciée. Il n’y a pratiquement « rien à jeter ».

Peut-on vous reprocher d’avoir « la dent dure » et le commentaire parfois un peu trop cruel

Ça fait quelque peu « anar ». Ça ne me dérange pas L’essentiel est d’exprimer ce à quoi on croit.

Petite parenthèse. Malgré une recherche poussée, je n’ai pas été fichu de trouver le nom de l’auteur sur ce manuscrit ni sur le bouquin que vous m’avez envoyé. Serait-il un dangereux terroriste recherché par la DST ? A moins que l’auteur ne soit également éditeur ; si ce n’est lui c’est peut-être son frère…

Il me paraît une suite logique et pertinente à ce que j’avais écrit sur les passés du quartier, ancien et récent, en dressant un état des lieux sur l’ambiance, la population, les transformations sociales et architecturales.
Belle balade des bistros du coin, ces véritables clubs de quartier dont on comptait 379 exemplaires en 1898 et qui, dans l’ensemble, ont bouleversé leur look.
Cruauté manifeste à l’égard de Saint-Jean Bosco (je vous soupçonne d’être anticlérical, mais ce n’est pas une tare !). L’architecture de l’église est sans doute discutable mais songeons que initialement, malgré de grosses difficultés financières, ses promoteurs avaient un projet qu’on pourrait qualifier de pharaonique, avec l’édification d’un bâtiment imposant dans un espace actuellement resserré mais qui ultérieurement devait être ceinturé de multiples constructions basses à vocation socio-éducative.
Il faut souligner l’importance de cette institution, avec un paternalisme non discutable, sur des actions novatrices en faveur de l’ouvrier et de sa famille. (…)

 

Lionel Longueville est un octogénaire (il est depuis notre rencontre passé dans la catégorie supérieure) extrêmement sympathique qui a exercé pendant de nombreuses années la médecine générale dans le XXe arrondissement. Je lui avais envoyé un premier jet et lui avais demandé des renseignements sur ledit arrondissement. Nous avons déjeuné ensemble dans un petit resto portugais dont il était visiblement un habitué. Il a écrit deux livres fort intéressants : Si le Quartier de la Réunion m’était conté et Charonne, chroniques et portraits de jadis et de naguère.
Il habite désormais en banlieue mais a accepté de venir discuter avec moi rue des Orteaux autour d’un inévitable bacalao de Rita.